Contexte et objectifs du renforcement militaire
A peine investie, la figure très conservatrice Sanae Takaichi a promis une hausse substantielle du budget de la défense japonaise, porté à 2% du PIB dès l’an prochain, soit deux ans plus tôt que l’objectif fixé par son prédécesseur. L’archipel renforce ses capacités, notamment sur les drones et les missiles longue portée destinés aux Forces d’autodéfense.
Une terminologie spécifique
Le terme Forces d’autodéfense porte une nuance importante dans l’esprit des Japonais: elles ne s’appellent pas armée en japonais. Cette précision a été soulignée par Constance Sereni, historienne spécialisée du Japon contemporain à l’Université de Genève.
Pacifisme historique et cadre constitutionnel
Historiquement, la population japonaise s’est montrée profondément pacifiste depuis la fin de la Seconde guerre. Le pacifisme est perçu comme une voie pour surmonter le traumatisme du conflit, et l’article 9 de la Constitution consacre ce renoncement à la guerre. Selon l’historienne, les Japonais y restent attachés et le considèrent comme une fierté, et non comme une clause imposée par les Américains, ce qui explique pourquoi l’idée de réarmement n’est pas très populaire.
L’ancien Premier ministre Shinzo Abe, mentor de Sanae Takaichi, avait aussi plaidé en faveur d’une révision de cet article pacifiste. Selon Constance Sereni, l’objectif serait probablement d’élargir l’article sans le changer fondamentalement, mais cela demeure extrêmement difficile.
Défense collective et limites actuelles
Sanae Takaichi défend le principe d’une défense collective qui permettrait d’aider ses alliés au nom de l’autodéfense. Dans l’état actuel des choses, si les États-Unis venaient à être attaqués, le Japon n’aurait pas le droit d’apporter son aide selon le cadre en vigueur.
Liens avec les États-Unis et dynamique diplomatique
Depuis sa nomination, Sanae Takaichi a enchaîné les rencontres diplomatiques, en commençant par la visite de Donald Trump à Tokyo fin octobre. Elle place la relation avec Washington au cœur de sa politique étrangère et a multiplié les gestes destinés à gagner les bonnes grâces du président américain, qui la rencontrait pour la première fois, avec notamment un cadeau symbolique et un dîner comprenant du bœuf américain. Des sources évoquent aussi l’éventualité d’une recommandation au Prix Nobel de la paix.
Selon l’historienne, son équilibre entre fermeté et conciliation a été perçu comme habile par certains commentateurs, mais a aussi suscité des critiques à la Diète, certains estimant qu’elle aurait été trop conciliante vis-à-vis des Américains.
Rôle des États-Unis et contexte sécuritaire
Le cadre de sécurité Japon–États-Unis repose sur le traité de défense signé en 1960. Le Japon accueille le plus important déploiement américain à l’étranger, avec environ 60 000 militaires répartis sur plusieurs bases, majoritairement à Okinawa, à quelque 600 km de Taïwan.
Constance Sereni ajoute que les États-Unis encouragent le renforcement des capacités japonaises: les Forces d’autodéfense japonaises figurent parmi les armées les plus coûteuses du monde et demeurent l’un des principaux clients des États-Unis. Cela explique, selon elle, l’intérêt américain à soutenir la poursuite des dépenses japonaises, notamment en matière d’équipement.
Mélanie Ohayon, Elsa Anghinolfi — Propos recueillis par Laurent Huguenin-Elie